La France dans 10 ans, qu'en penser vu du Nord Pas-de-Calais ?
Publié le 18 Décembre 2013
Quelle soutenabilité pour notre modèle de croissance ? Quelle France dans 10 ans ?
C’est le débat lancé par le gouvernement et confié au commissariat général à la stratégie et à la prospective. Il a fait l’objet de nombreux échanges, et notamment de réunions décentralisées dans les régions en vue de la remise d’un rapport par Mr Pisani-Ferri. Nous avons accueilli un temps de ce débat en région Nord Pas-de-Calais sur le site d’Euratechnologie sur le thème « la France dans 10 ans, quel soutenabilité pour notre modèle de croissance ? ». En intervenant dans l’une des tables-rondes, j’ai voulu défendre le point de vue original du Nord Pas-de-Calais compte tenu de son histoire et d’une tradition d’engagement qui lui fait honneur. Il m’a semblé que la question qui nous a été posée était inadaptée en terme d’énoncé et d’intention et donc qu’elle valait d’abord d’être interrogée.
Questionnons la question…
On ne peut la dissocier de l’enjeu de la soutenabilité tant les défis écologiques les impacts du changement climatique sont mésestimés, nous savons mais nous ne voulons pas croire, on parle de 6ème extinction pour la biodiversité, beaucoup de nos ressources sont épuisables. Le rapport Stern qui avait chiffré en milliards le coût de l’inaction par exemple.
« Lorsque nous aurons pêché le dernier poisson en raclant les fonds profonds des bateaux usines industriel, cette ressource s’éteindra faute de renouvellement possible avec son cortège de conséquences écologiques sur la chaîne alimentaire et sociales sur l’alimentation des populations. »
La question de la croissance comme réponse aux défis que nous avons à court terme 10 ans ou à moyen terme 20/30 ans doit être posée. Il faut directement interroger la nature de notre modèle de développement et ne pas présupposer que la croissance lui est intrinsèquement lié. Bien sûr 1 ou 2 points de croissance permettent un désserrement de l’étau budgétaire mais ne préparent pas l’avenir durablement.
- Rappelons que le découplage croissance emploi est avéré (source alternatives économiques courbes PIB, PIB/hb, emploi 1960 à 2007)
- Rappelons que la croissance mesurée en terme de PIB est découplée du développement humain ou de la santé sociale des territoires (se référer aux travaux sur les indicateurs de l’ARF)
- Rappelons enfin que le modèle actuel de croissance encourage le consumérisme et la compétition qui aggravent les inégalités, ce qu’ont démontré les anglais Richard Wilkinson / Kate Pickett (Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous ; 2009)
Il faut nous poser la question posée récemment par l’expert du climat Pierre Radanne (ex Pt de l’ADEME Président de 4D) au Conseil Régional NPdC « existe-t-il un monde infini dans un monde fini ? »
Si nous voulons parler de la croissance de la production des biens et services traduit par le PIB nous sommes certainement face à une impasse que les seules technosciences ne peuvent résoudre… Les ressources finies ce sont les énergies fossiles, ou les terres rares nécessaires à de nombreux équipements high tec, les sols fertiles. Est-ce pour autant la fin de la croissance ? Non il existe des biens immatériels infinis : la connaissance, l’éducation, la santé, les relations sociales… Donc ni en bien ni en mal ne mythifions la croissance, nous devons passer à un autre paradigme et admettre un nouvel état du monde..
Une chose est sure : ou nous inventons un modèle soutenable et solidaire, ou nous serons tous ensemble happés par une situation que nous ne pourrons pas maîtriser ; 8 milliards de terriens ne peuvent vivre sur cette planète avec notre mode de consommation, de gaspillage et nos inégalités.
Aujourd’hui nous mesurons la croissance avec le PIB. Nous sommes au tournant de choix de société déterminants : Si nous voulons orienter notre destin, la question des indicateurs dans l’action publique et le débat démocratique est déterminante. Un thermomètre est inadapté pour détecter une fracture, le PIB l’est aussi pour parler de soutenabilité. D’autres indicateurs existent pour piloter le développement durable, l’ARF Association des Régions de France a établit et adopté un corpus de référence. Il est basé sur 3 indicateurs composites l’Indice de Développement Humain promu par le PNUD, l’Indicateur de Santé Sociale des Régions, l’Empeinte Ecologique et 25 indicateurs thématiques de DD. Ce travail a été piloté à l’ARF par notre Région, nous sommes un peu en stand by au niveau national avec une INSEE très peu réactive. Nous allons proposer à l’ARF de poursuivre ce travail par la construction d’un indicateur de résilience des territoires.
La démocratie représentative elle-même est à la peine pour intégrer la gestion du temps et des contrepouvoirs qu’exige la prise en compte des enjeux de long terme ou planétaires. Avoir conscience que nous sommes dans un monde aux ressources finies est différent de l’admettre et, en responsabilité, de contribuer aux changements individuels et collectifs nécessaires. Le philosophe suisse Dominique Bourg a posé en ce sens la question du bon cadre de référence d’ une démocratie écologique, et il fait des propositions. Dans 10 ans, la France pourrait avoir intégré ces propositions (place du citoyen, régulations, académie du futur…)
Donc la croissance ce n’est pas forcément l’emploi, ce n’est pas forcément le bien-être et pire dans notre système actuel de consumérisme et de compétition, elle alimente un système qui creuse les inégalités et se retourne contre l‘idée de progrès humain du développement durable
Rêvons de France dans 10 ans : elle pourrait avoir mis en actes 2 propositions du rapport que le Commissariat Général à la Stratégie et la Prospective avait remis au gouvernement en 2013 :
Celles concernant le renforcement de la démocratie écologique par une meilleure prise en compte des enjeux du futur
Celle concernant des indicateurs alternatifs de richesse pour mesurer ce qui compte vraiment
Que nous révèle le Nord Pas-de-Calais des enjeux de la France dans 10 ans ?
Notre Région a une image paradoxale : celle des terrils et de l’ambition culturelle du Louvre Lens, du labeur et des chômeurs, celle de l’accent chti que l’on moque et celle de la convivialité humaine, celle de la pauvreté mais aussi celle du défi permanent. Nous nous débattons entre préjugés et étonnement .
Oui nous sommes une région emblématique du développement non durable.
Nous sommes nés des terres fertiles et des villes franches, avec une nature qui a été anthropisée et aménagée dès le moyen âge (assèchement, drainage, polder, déboisement…), nous avons vécu précocement et sans ménagement la révolution industrielle, nous avons connu toutes les guerres et leurs destructions, nous avons connu tout aussi brutalement des processus de désindustrialisation et mis en œuvre laborieusement nos politique de reconversion. Nous n’avons presque pas de forêt et devons la recréer...
Nous avons du inventer beaucoup pour traiter nos séquelles : les friches industrielles avec un EPF précurseur, les sites et sols pollués avec un pôle de compétitivité TEAM2, l’habitat ancien ouvrier déclassé avec nos écocités, la sidérurgie vorace en énergie avec les 1ères expériences industrielles d’économie circulaireà Dunkerque, puis à Valenciennes.
Mais à chaque saut technologique ou expansion de la mondialisation, ce que l’on appelle « la destruction créatrice » des emplois prend ici des accents humains concrets… Et nous avons mis en place une cellule multipartenariale de « résistance à la crise » pour accompagner les entreprises en danger, elles sont nombreuses et certaines très emblématiques…
Quelle est objectivement notre situation actuelle ? en terme d’indicateurs de développement durable, nous sommes derniers dans le classement des régions de France. Notre empreinte écologique est trop importante par rapport aux ressources de notre territoire (il faudrait 8 territoires équivalents) et à sa capacité de régénération. Nos indicateurs montrent notre fragilité sociale : santé, niveaux de formation, revenus nous sommes dans le rouge. Nous ne détenons pas tous les leviers de notre économie, nous avons un taux de dépendance des emplois par rapport à des centres de décisions étrangers + important que la plupart des régions françaises. De plus l’attention nationale, régulatrice, équilibrante ne nous est pas accordée : la présence de l’emploi public d’Etat est bonne mais les investissements du futurs vont aux régions déjà les mieux placées dans le grand jeu de la compétitivité et de l’innovation : ainsi en a-t-il été avec le plan campus, les laboratoire d’excellence (1 seul projet sur 100 pour 56 en Ile de France), pendant ce temps là notre ligne TGV Lille Paris reste la plus chère de France au km bien que la plus ancienne…
Que faisons nous d’une telle situation ? Nous avons tiré de tout cela un enseignement majeur : nous savons devoir d’abord compter sur nous et sur nos atouts : la qualité de nos échanges humains, la diversité des cultures du monde présente sur notre sol, notre double appartenance urbain et rurale, notre ouverture à l’Europe et au monde, notre tradition industrielle, notre résistance, notre capacité de dialogue au-delà des appartenances, notamment entre le monde économique et le monde politique…
Nous ne cultivons pas la déprime mais la résilience : cette notion issue des sciences sociales et de la physique des matériaux nous l’attachons à notre territoire. C’est la capacité que nous avons de mobiliser nos ressources pour opérer des rebonds, ce processus d’adaptation-reconstruction que nous revendiquons intègre l’exploration des futurs possibles et souhaitables. Depuis des années, nous avons mis en place un Collège Régional de Prospective et nous examinons notre avenir à 20 ans. Nous l’avons décliné dans nos cadres stratégiques autour du SRADDT. Nous travaillons la résilience de notre territoire autour de 2 notions : la robustesse et l’adaptation. Les 2 immanquablement questionnent notre modèle de développement et la capacité sociale et culturelle à bouger. Pour cela, nous devons impérativement intégrer l’enjeu de l’innovation sociale au même rang que celui de l’innovation technologique. Nous n’investissons pas assez dans la sciences sociales et la conduite du changement, nous devons nous adresser à la société tout entière et mobiliser l’expertise des citoyens. Nous avons un devoir d’inventivité, nous avons une obligation de pratiques collaboratives et nous devons l’exercer dans le carcan d’un Etat qui reste profondément jacobin et n’a pas intégré l’immense potentiel des régions à construire de l’avenir et des références collectives partagées.
Notre récit régional, notre trajectoire aujourd’hui c’est le développement durable et nous le construisons en dépit des chocs et des aléas.
Le Nord Pas-de-Calais crée plus d’emploi que la moyenne des régions, est leader dans des domaines du futur le transport ferroviaire en est un exemple, notre territoire décline sa fierté autour de grandes ambitions culturelles et implante le Louvre dans le bassin minier, nous disposons d’un volet climat ambitieux décliné en plan climats territoriaux, tous nos territoires ont un rôle de champion sur un domaine d’excellence textiles du futurs, écomatériaux, matériaux agrosourcés, image numérique, filière bois, industries du commerce, nouvelles technologies… ici nous préparons la 3ème révolution industrielle sous les auspices de Jérémy Rifkin.
Et pendant qu’en Bretagne un mouvement pseudo social dégrade le bien public pour une taxe poids lourd qui est suspendue, notre Président de Région réclame le droit à l’expérimentation : « donnez nous la taxe nous la mettrons au service de la mobilité durable en région… »
L’énergie régionale est renouvelable, nous revendiquons le fait régional.
Au niveau national, la réforme de l’action territoriale en cours n’en finit pas de rapiécer le modèle Jacobin et sa soumission aux lobbies des bataillons d’élus municipaux et départementaux. Nous sommes dans la région du père de la décentralisation Pierre Mauroy, pourquoi avons-nous tellement minoré nos ambitions ?
Devant l’impuissance des Etat à capter toute une partie du réel pour agir efficacement, ce sont souvent aujourd’hui les autorités locales qui agissent et tissent des réseaux. Nous étions au Sommet de la Terre de Rio+20 l’année dernière politiques, acteurs économiques, associations et représentions une forme d’alternative à l’impuissance. Il faut se saisir de cette capacité pour tisser de la mondialisation du sens et de l’humain.
Il existe aujourd’hui une forme de crise de gouvernance de l’action publique. Prenons acte du potentiel positif des Régions : ici nous pouvons mobiliser des alliances entre territoires, politiques, acteurs économiques, université, citoyens sur le sens d’une communauté de destin là où le national est à la peine. L’espace régional est un espace adapté pour la négociation et le contrat par delà les postures.
La France d’aujourd’hui doit redonner des marges de manœuvres fiscales et réglementaires aux Régions.
La France dans 10 ans devra avoir fait sa mutation décentralisatrice ou sera durablement décrochée à l’échelle européenne, regardez la puissance des landers allemand, le pouvoir législatif des régions italiennes, et je ne parle pas de nos amis et voisins belges de Flandre, de Wallonie, de Bruxelle qui avec un état faible s’en sortent plutôt bien en terme de dynamisme…
Nous avons besoin d’une fiscalité dynamique en rapport avec les enjeux de la transition écologique, cette fiscalité doit promouvoir l’adaptation et la robustesse.
Nous avons besoin de DRA opposables, en 2008 nos propositions législatives sont restées lettres mortes bloquées par la direction des collectivités locales, nous attendons le retour de la planification stratégique régionale dans le volet département-région de la loi sur l’action territoriale avec le SRADDT.
Nous avons besoin de nous voir reconnu un droit à l’expérimentation : La France avant 10 ans doit ouvrir le champ des possibles.
Nous avons besoin d’un Etat régulateur qui assume son rôle dans la construction d’une Europe collaborative orienté sur le développement humain et non le libéralisme outrancier
En conclusion, les collectivités territoriales n’échappent pas au gros temps mais peuvent cultiver leur résilience, et ce principe peut tout à fait être opérationnel. Nous le faisons chez nous à travers les 9 opérations de développement de la TESR Transformation Ecologique et Sociale Régionale, portée par Jean-François Caron, ce processus est notre laboratoire pour renouveler l’action publique. Pensons aux régions comme lieu de dialogue et de mobilisation, lieu de l’établissement des cohérences, lieu de l’hybridation des ressources et des énergie, lieu d’appui aux innovations technologiques et sociétales. Une Région peut proposer et rassembler sur une vision de société, une vision d’un futur souhaitable. La Région est ancrée dans l’action et le débat, l’échelle régionale peut favoriser une mobilisation démocratique des forces vives et des citoyens.
Puisse le rapport sur la France dans 10 ans comprendre et reprendre ce point de vue.
- Coûts estimés d’une non-action climatique : perte de 5% du PIB mondial /an au minimum soit 5 500 milliards d’euros (le coût de la Seconde Guerre Mondiale), voire 20% si certains risques supplémentaires sont pris en compte
- Coûts de l’action, dans le cadre d’une action internationale concertée : 1% du PIB mondial/an (investissement nécessaire à une stabilisation de la concentration de GES à un niveau compris entre 500 et 550 ppm)
Vers une démocratie écologique, de Dominique Bourg & Kerry Whiteside, Editions du Seuil, Collection : La République des idées, octobre 2010
Site http://www.fondation-nicolas-hulot.org/blog/vers-une-democratie-ecologique-de-dominique-bourg-kerry-whiteside résumé des propositions
Développer les processus participatifs et délibératifs à l’image des « forums hybrides » ou des conférences de citoyens
Accroître le rôle des ONG environnementales dans le processus d’élaboration des lois et les introduire dans les institutions publiques ou gouvernementales encadrant les secteurs touchant à l’environnement
Mettre en place des innovations politiques : reconnaissance de nouveaux objectifs constitutionnels en matière d’environnement, refondre l’édifice constitutionnel au bénéfice d’un « bioconstitution », concevoir de nouvelles institutions (instauration d’un nouveau Sénat, d’une Académie du Futur)